Femme

31 ans

 

Regarder en arrière. Aller de l’avant. Regarder en arrière. Aller de l’avant. Le pour et le contre:  "L’Érythrée et la Suisse pour moi, c’est moitié, moitié". 

 

La guerre et la dictature d'un côté. La sécurité de l'autre. La Suisse, ce sont des vagues de tranquillité qui l'enveloppent elle et sa famille, et   donnent sens au voyage.

A l'intérieur, rien n'est si tranquille. Les cris virulents d’une âme à moitié là se bousculent dans une poitrine douloureuse. Un besoin urgent: un bain familial d’amour ! Impossible, logé à des milliers de kilomètres,... "L'argent, ya pas".

Elen regarde autour d'elle mais ne reconnaît rien. Tout est si différent. Sans repères. Sans père, sans mère. Sans mère, sans père. Elen se sent seule. Et surtout, elle n'en peut plus d'être: seule à la maison!

Depuis que je suis en Suisse, je suis toujours à la maison. C’est triste. Je suis devenue timide, je ne connais pas beaucoup de personnes. Dans mon pays, je ne suis pas beaucoup allée à l’école. Heureusement, en Suisse il y a Sara, j’aime beaucoup Sara. Je parle beaucoup avec elle, le week-end on se voit, et les enfants jouent ensemble, nos maris s’aiment beaucoup. J’étais forte à l’école. Ma maman est morte quand j’avais 2 ans, c’est ma tante qui m’a élevée. J’étais douée, la 1ère ou la 2ème de mes classes. Je me voyais déjà médecin pour les enfants, comment on dit déjà ? Ah oui, pédiatre. Ou bien je rêvais d’être comédienne ou chanteuse.

Quelque chose lui a été dérobé, sans qu'elle ne le voit venir, sans qu’elle ne réalise les traces que cela laissera.

En 8ème année, je me suis mariée. Je ne voulais pas me marier mais c’est ma tante et mon père qui ont décidé. Moi je pleurais toujours quand je regardais les autres étudiants, car j’étais intelligente, je voulais étudier. Depuis le mariage, je suis devenue timide, j’ai changé. Heureusement mon mari est quelqu’un de bien, il travaille ici, il est vendeur.

Le temps passe, femme de, mère de ses enfants. Sans famille. Les amies qui brillent au loin.

Pour Elen c'est une Suisse de paix, mais une Suisse où la femme est seule, seule avec ses enfants, seule avec ses rêves voltigeant comme poussières.

Des poussières d’étoiles bien visibles dans son regard. La petite fille rêveuse n’est pas très loin, elle attend sagement de révéler sa folie, son potentiel. Elle est patiente, car elle sait oh combien la grande femme est GRANDE.

 

Récit écrit en 2023